Argumentaire

L’année 2018 marque le centenaire du Paysan Polonais en Europe et en Amérique, ouvrage essentiel de la tradition de l’école sociologique de Chicago, publié, en cinq volumes, entre 1918 à 1920. Cette publication, emblématique de la perspective épistémologique et méthodologique développée par les sociologues de Chicago, a eu une influence importante sur les sciences sociales, au sein de divers courants : l’interactionnisme symbolique de la « seconde école de Chicago » ; l’ethnométhodologie ; l’ethnographie et la nouvelle sociologie de l’école.

Le Paysan Polonais initie des formes d’enquête favorisant la narration du vécu via les récits de vie en sciences humaines et sociales, et constitue l’un des moteurs du développement des approches herméneutiques/compréhensives en sciences humaines et sociales. En cherchant à comprendre comment Wladek Wisniewski, dans son récit de vie, définit les situations dont il fait l’expérience, notamment lors des moments dits « critiques » de son existence, Thomas et Znaniecki inaugurent une « sociologie pragmatiste », définie par Tripier dans la préface de la traduction française de l’ouvrage (Nathan, 1998), à partir de trois principes : une sociologie de la praxis, une appréhension de la réalité sociale favorisant la perspective du sujet, l’étude des situations vécues dans leur dimension temporelle.

Le Paysan Polonais occupe une place majeure dans l’histoire des sciences sociales, en ce qu’il constitue l’un des principaux témoignages de la perspective épistémologique et méthodologique ouverte par l’école de Chicago. L’ouvrage contribue à transformer les pratiques d’enquête qui vont se diffuser à travers des recherches en santé, en milieu urbain, aux processus migratoires, dans les domaines de l’éducation et de la formation. L’idée a été régulièrement avancée d’une part que l’école de Chicago offre une matrice à un ensemble de recherches poursuivant une visée herméneutique, d’autre part que ce courant constitue une traduction, sur le plan sociologique, des apports théoriques de la philosophie pragmatiste de Peirce, James, Dewey et Mead.

Par ailleurs, l’école de Chicago est marquée par le recours à une démarche compréhensive dans les enquêtes sociologiques contribuant à favoriser l’interdisciplinarité en sciences sociales. L’observation participante des premières enquêtes de socio-anthropologie (Nels Anderson) fut introduite à ce moment-là et se poursuit aujourd’hui de manière très diversifiée faisant appel à toutes sortes de méthodes empruntant chacune à des domaines disciplinaires variés comme l’histoire, la psychologie, la médecine, l’histoire de l’art, les arts visuels, encourageant des réflexions scientifiques à chaque fois renouvelées sur la manière de « raconter l’autre ».

Par les visées de transformation sociale qu’elle revendique, l’école de Chicago interroge par ailleurs autant la fonction sociale du chercheur que la place des sujets dans la recherche (constituant une source importante des démarches de recherche collaborative). Certains chercheurs peuvent ainsi aujourd’hui affirmer une visée politique et transformatrice de la recherche ; dans d’autres cas cette conception politique de la recherche peut se traduire par la reconnaissance de questions socialement vives (par exemple celle de la migration) comme objets légitimes de recherche.

L’enjeu scientifique est alors multiple :

-revenir sur cette filiation, ses traces, les moments forts de ces articulations historiques et théoriques, mais aussi les éventuelles limites de cette lecture ;

-rendre compte, en mettant en lumière des démarches de recherche et des méthodes utilisées, de ce qui reste de cet héritage, mais surtout de la manière dont il s’actualise et se renouvelle dans des formes nouvelles ;

– définir et analyser la manière dont les pratiques d’enquête initiées par l’École de Chicago ont pu influencer un ensemble de démarches de recherche, et la façon dont, au fil du temps, elles ont pu être interprétées et transformées.

– spécifier et caractériser les connaissances produites par les approches compréhensives et la dimension contributive de ces approches expérientielles aux côtés des sciences expérimentales telles les approches biomédicales en santé

L’originalité de la manifestation prévue en 2018 est de regrouper des chercheurs activement engagés dans des projets mobilisant des méthodologies de recherche liées à la narration, impliquant une visée transformatrice, et/ou favorisant selon les cas des démarches collaboratives ou « sensibles » : récits de vie individuels et institutionnels, approches audiovisuelles, recherche socioclinique, recherche-intervention ou interventionnelle, etc.

Modalités d’organisation du colloque et appel à contributions

Le colloque permet à ces chercheurs, dans le cadre d'ateliers longs (présentés sur cette page), organisés sous la forme de workshops, non pas exclusivement de présenter le résultat de travaux mais de mettre concrètement au travail leur démarche méthodologique, en soumettant à la délibération des dispositifs de recherche et/ou d’intervention, ou des données (récits d’expériences de terrain, données audiovisuelles, verbatims, images fixes, etc.). Les interventions faites en ouverture du colloque sur la tradition de Chicago apportent ainsi les éléments d’un cadre théorique constituent une base de réflexion pour les participants aux ateliers, une grille d’analyse au crible de laquelle sont analysés les apports de chacun(e).

Le colloque s’organise ainsi essentiellement autour de plusieurs ateliers, chacun placé sous la responsabilité d’un ou de plusieurs chercheurs, qui assureront sa coordination et sa préparation.

Pour prendre connaissance des ateliers proposés et proposer une contribution, merci de visiter cette page.

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